L'orientation avec la clientèle émergente

Ajuster à chaque client notre façon d'intervenir

Dans mon précédent billet, je vous parlais du jeune Jean-François et de « l'équation mathématique » que j'avais utilisée pour faciliter sa compréhension de son choix de programme et d'éventuel métier. Bien qu'efficace auprès de cet individu, cette métaphore ne conviendrait pas à tous. Et comme tout le monde, les personnes Asperger sont toutes très différentes. J'oserais même dire que les outils d'orientation que j'utilise avec la clientèle neurotypique sont plus facilement généralisables que ceux que j'ai élaborés pour les personnes Asperger. S'il y a une chose essentielle que j'ai retenue de ma pratique jusqu'à maintenant, c'est que les personnes Asperger ont en commun leur diagnostic, mais sont toutes uniques et différentes, les unes des autres et des neurotypiques. À chaque nouveau client, je dois m'ajuster et remodeler mes outils.

Ainsi, je rencontre des étudiants au profil différent de Jean-François, particulièrement les filles Asperger, qui sont anxieuses et pour lesquelles le contrôle est un besoin qui prend beaucoup de leur attention. Avec ces personnes, j'utilise une méthode que j'appelle « l'opérationnalisation » de leur projet d'études et de carrière. L'objectif est de nommer les différentes dimensions du choix de carrière à partir de choses que l'on peut compter, vérifier, toucher, voir, sentir... Cela permet à la fois de répondre au besoin de contrôle et de le déjouer pour démêler le besoin de se rassurer du besoin que comblera leur choix professionnel.

Comme exemple, je peux vous parler d'une étudiante qui a un projet de carrière très rigide et défini, pour ne pas dire contrôlé, et dont le réalisme est ce qui me préoccupe. Mon travail avec elle consiste à décortiquer son besoin et sa motivation à partir d'éléments très concrets et mesurables, afin de répondre au besoin de contrôle. J'évite les questions ouvertes et j'utilise plutôt celles qui mènent à des réponses opérationnelles, comme celles-ci :

1) Qu'est ce qui t'attire dans ce métier ?
2) Nomme moi 5 actions effectuée par les professionnels du domaine  ?
3) Nomme moi 5 vebres d'action qui décrivent tes forces actuelles ?
4) Nomme moi 5 verbes d'action pour lesquelles tu as plus de difficulté ?
5) Quelle est la prochaine action que tu devras faire pour être admise dans ce programme d'études ?
6) Quelles actions devras-tu faire pour décrocher cet emploi ?
7) Y a-t-il d'autres métiers qui font ces actions ?
Etc...

Évidemment, ma cliente a de la difficulté à répondre à toutes ces questions. Nous en prenons une à la fois et plusieurs rencontres sont prévues pour y arriver. Elle doit écrire les réponses qu'elle conserve avec elle. D'une réponse à l'autre, je discute avec elle pour l'aider à faire des liens et tranquillement l'amener à voir qu'il existe plusieurs métiers pouvant lui convenir, pas un seul. Je veux l'amener à sentir qu'elle peut avoir du contrôle tout en avançant vers l'inconnu. Je n'ai pas encore tout résolu avec cette étudiante, mais déjà, elle a pu me nommer des besoins qui s'avèrent différents de son idée de départ. Elle est en mouvement, mais sur un chemin avec beaucoup de panaux de signalisation.

Pour résumer les quelques précédents billets que j'ai publiés, je vous ai présenté un jeune qui avait très peu d'introspection et un cas d'anxiété très prononcée. Dans mon prochain billet, je vous parlerai d'un autre profil de jeunes Asperger et des pistes d'intervention qui s'y rattachent.

Émilie Robert, c.o.

Un exemple concret de démarche d'orientation avec un jeune Asperger

Dans mon billet du 1er mars, je vous ai présenté la métaphore de l'équation mathématique pour structurer ma démarche d'orientation avec un personne ayant le syndrome d'Asperger. Aujourd'hui, je vais vous l'illustrer à l'aide du cas de Jean-François, l'étudiant que vous ai déjà présenté (voir billet du 14 décembre 2012).

J'avais utilisé avec Jean-François un questionnaire simple inspiré de la typologie de Holland pour lui permettre de me nommer ce qu'il aime et ce en quoi il se sent habile. J'avais obtenu peu d'informations mais je les avais tout de même conservées. Ensuite, je lui avais demandé de décrire ce qu'il n'aimait pas dans son programme d'études actuel. J'avais aussi discuté avec son orthopédagogue et ses parents, en sa présence, de ses forces et ses faiblesses. J'ai pu ensuite résumer les informations comme suit :

Ce que j'aime : Écouter des films, l'histoire du XXe siècle, lire mais à mon rythme.
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Ce que je veux éviter : Les travaux d'équipe, les projets de recherche, les activités qui sortent de l'horaire prévu, la manipulation d'appareils, le contact avec le public.
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Mes forces (perçues par moi et mon entourage) : Observer les détails, travailler avec précision et minutie, écrire sans faire de fautes.
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Les limites perçues par mon entourage : comportements compulsifs qui prennent beaucoup de temps, anxiété et grand besoin de sécurité, n'a jamais rien aimé d'autre qu'écouter des films.

Cette synthèse, discutée avec les parents et l'orthopédagogue, a permis d'ouvrir sur le sujet que Jean-François n'aimera sûrement pas un emploi car il n'aime qu'écouter des films, au sens le plus strict (ce qui fait partie de la rigidité des personnes Asperger).  Selon ses parents, il vaut mieux considérer des emplois qu'il est capable de faire et accepter qu'il n'aimera sûrement pas cela.

C'est une discussion sur ses forces qui nous a amenés à trouver des possibles domaines d'études et de travail. Sa minutie, son sens de l'observation, sa qualité du français et son relatif intérêt pour la lecture nous ont fait penser à la révision linguistique. Ses parents lui demandent souvent de corriger des textes pour eux. Son orthopédagogue a aussi remarqué cette force. La révision linguistique est un travail prévisible et solitaire. Il pourrait peut-être travailler à son compte et prendre une charge de travail moindre, histoire d'avoir moins de pression. Au plan des études, Jean-François est est tout à fait admissible au certificat en rédaction, qu'il pourrait combiner avec une majeure en études cinématographiques pour obtenir un baccalauréat. Mais il faudra encore beaucoup de temps avant que Jean-François soit prêt à faire face à ce projet.

C'est le travail en équipe élargie qui a permis cette ouverture et ma méthode par équation mathématique a simplement donner une structure aux différents éléments de la situation et a aidé Jean-François à faire du sens de cette démarche.

En conclusion, Jean-François est d'accord à suivre ce cheminement, bien qu'il ne pense pas aimer la révision linguistique.  Il souhaiterait ne pouvoir qu'écouter des films mais il est conscient qu'il devra gagner sa vie. Il est préférable d'occuper un emploi qui ne présente pas les éléments qui l'irritent.

Cet exemple vous inspire ? Vous voulez partager vos expériences ? N'hésitez pas à m'écrire...

Dans mon prochain billet, je poursuivrai avec une autre piste que j'ai explorée pour contourner l'incapacité d'introspection des personnes Asperger. D'ici là bonne lecture et j'attends vos commentaires !
Émilie Robert, c.o.